Jessica93 / Mistress Bomb H - « Salle de shoot » - Bruits de Fond 22 (2014)
La Manufacture des Bruits de Fond et le label rennais Kerviniou Recordz s'associent pour le meilleur. La rencontre entre les deux labels, comme avec les deux artistes qui se partagent ce nouveau morceau de galette noire, ne date pas d'hier. Comme avec le studio à qui le mastering a été confié ou encore le graphiste mobilisé pour la réalisation de l'artwork. Des années d'amitiés parfois, et surtout un respect et un soutien mutuel, fermement ancrés dans la tradition "Do it yourself". Ceux qui nous suivent de longue date le savent déjà, mais ça va toujours mieux en l'écrivant.
Et comme il est question ici de valeurs partagées, c'est un activiste dont nous n'avons pas fini de croiser la route que nous avons sollicité afin qu'il mette ses mots sur cet ouvrage résolument non conforme.
La dame du 93 n'en finit plus de faire parler d'elle et s'acoquine ici avec la duchesse bretonne de l'electro noise, Mistress Bomb H, sur ce split « Salle de shoot », dernière sortie en date des labels Kerviniou Recordz et Bruits de Fond.
Sur Black Dog, Jessica 93 déboule tel INXS qui n'aurait connu d'autre réalité que celle bien malveillante de Mad Max, une transe d'homme qui attend autre chose que la fin des temps, Jessica, reine du bal au pays des kangourous.
Jeune pornographe cyber grunge, Mistress Bomb H, dans cette même réalité altérée, serait Björk, mais pas la gueularde intello de seconde zone, non, c'est une méchante personne à l'instinct puissant et au beat tord-boyaux qui s'annonce, fière et inconfortable, notamment sur le morceau Cap, maitresse du brut et tendresse du kick.
Le reste est dans la même schizophrénie circulaire, jusqu'à l'infini retournement de cette galette atlantique, manifeste sonique du beau, ouvrage post-social qui hante nos paysages les plus abîmés. Un diable de remake donc, le prophète punkash du 93 en guise de combo australien et la soupe des neiges, ici, sous les traits d'une sympathique dominatrice au triskel sanglant.
L'agonie du mâle se confronte à l'hystérie bad ass d'une indomptable catin, un matin d'hiver qui se réjouit et réchauffe le cœur du plus endurci des adorateurs de satan. Un bouleversement climatique qui ne présage rien d'autre qu'un sombre et inquiétant futur, amoureux jusqu'à la carne et camé jusqu'à l'os : une aubaine en somme !
Mickaël Appollinaire (Lonely Walk / Crane Angels / Strasbourg)
Tracklisting :
Face 93 - 1. Jessica93 - Endless
Face 93 - 2. Jessica93 - Black dog
Enregistré et mixé par Vincent Gregorio au 20G Studio à Drancy.
Face H - 1. Mistress Bomb H - Deflation
Face H - 2. Mistress Bomb H - Tax
Face H - 3. Mistress Bomb H - Cap
Enregistré à Rennes, Kérandré et Moscou. Mixé par Jean Ferraille au Pavillon Vendôme à Soisy-sous-Montmorency.
Mastering : Studio Kerwax
Gravure : MB Mastering
Graphisme : EK Dojo
Remerciements :
Vincent G. et Laure, Christophe C., Marie K. et Lucien C., Matt B., Nico L., Thomas P., Greg F. et Les AdV.
Liens :
Videos :
« Endless » live au Café de la Danse à Paris (septembre 2014)
Discographies :
Chroniques / reviews :
Salle de shoot, un titre très bucolique pour une musique primesautière qui recouvre de son velours solaire la moindre parcelle d'espace. Un velours étrange. Souterrain. Soleil noir et vague à l'âme. L'espace repeint aux couleurs du disque : gris, salpêtre, seringues et grosses fissures. La confrontation des empilements de Jessica aux canevas pelés de la bombe H annonce un objet pas vraiment drôle mais extrêmement prenant. On savait déjà - depuis le séminal (et indispensable) Who Cares - que Jessica 93 savait mettre sur pieds des monstres glauques, patchworks instables collant entre eux des bouts de shoegaze, de post-punk et de proto-grunge avec de l'adhésif industriel qui, fatalement, adhérait fortement à la boite crânienne. On savait un peu moins (honte sur nous) que Mistress Bomb H maîtrisait, elle aussi, son sujet : un tapis électronique très sombre et très sec filant un coton mauvais, charriant un souffle désespéré sur lequel se déploie une voix déclamatoire au fort pouvoir de conviction. Une musique organo (la voix)-synthétique (le reste) simple mais très loin d'être simpliste (à ce titre, l'écoute de son 9 Pictures de 2011 est très fortement conseillée). Ce que l'on ne savait pas du tout, c'est que la réunion des deux sur un bout de plastique noir pouvait amener à une telle implosion. Même s'ils ne se rencontrent jamais, chacun tire parti de l'autre : toujours plus hypnotique, toujours plus pelé. Il en résulte un 12" vif et très cohérent. À l'unisson, Hélène Le Corre (la bombe H) et Geoffroy Laporte (la Jessica), s'ils ne partagent pas les mêmes armes, partagent en tout cas la même vision, celle d'une transposition de la vie, crue et réaliste. Tendus, les deux titres de Jessica 93 et les trois de Mistress Bomb H (grosso modo, douze minutes d'intervention chacun) s'emboîtent parfaitement, se complètent, s'appuient l'un sur l'autre et déploient toute leur envergure. On peut ainsi commencer par n'importe quelle face, on aboutit toujours au même endroit : les caves et les bas-fonds d'une quelconque agglomération densément peuplée, sa morne banlieue et ses terrains vagues. Quelque chose comme la traduction humaine d'un enfer déshumanisé.
Pourtant, à bien y regarder, Jessica 93 fait du Jessica 93 et Mistress Bomb H ne fait pas autre chose que ce qu'elle fait habituellement. N'entendez pas par là qu'ils font du surplace mais tous deux continuent à consciencieusement explorer leur pré carré. Endless et Black Dog sont ainsi prototypiques des empilements singuliers qui faisaient (et font encore) le sel de Who Cares, Deflation, Tax et Cap, quant à eux, n'auraient pas dépareillé sur 9 Pictures sans que l'on s'ennuie pour autant le moins du monde. Leur musique est encore pertinente. Mais là où Salle de shoot fait très fort, c'est que la présence de l'un magnifie celle de l'autre. L'aridité de Mistress Bomb H met parfaitement en exergue la luxuriance glauque de Jessica 93 et inversement, le foisonnement des deux titres de ce dernier souligne toute la sécheresse tendue de la première. Après tout, c'est bien à cela que sert un split. Ainsi, Endless, boite à rythmes roide et basse arachnéenne en avant, s'amuse à égarer ses guitares fuyantes dans l'éther qu'exsude la voix si particulière de Geoffroy/Jessica. Black Dog poursuit le même dessein mais s'abandonne peut-être un poil plus. Hypnotique, le titre nous enveloppe et finit par nous perdre dans ses circonvolutions éthérées avec, pour seul point de repère, le martèlement des beats en plastique qui semblent marcher au pas. Encore une fois, Jessica 93 fait mouche. C'est peu dire qu'après ça, les synthétiseurs-Terminator de Mistress Bomb H prennent par surprise. Et encore bien plus, sa voix. C'est elle que l'on suit, c'est elle qui nous mène par le bout du nez. On ne sait pas trop si elle se charge de morgue ou d'argumentation mais le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle accapare. En-dessous, ça ferraille joliment : les microprocesseurs font feu de tout bois, suivent une trajectoire rectiligne qui s'avère bien vite complètement folle, une trajectoire qui s'oppose à la déclamation de la voix. Pourtant, point d'empilement ici, juste des bruits synthétiques décharnés assez sombres qui s'entrechoquent dans des gerbes de splatch, de pschhh et de bzzz. Une architecture mouvante que l'on pourrait croire sans queue ni tête si elle ne se montrait pas si ciselée et qui culmine certainement le temps de Cap : bruits incongrus en avant, Mistress Bomb H fait sa Miss Kittin qui aurait laissé au grenier ses oripeaux electroclash pour quelque chose de bien plus profond et consistant.
Salle de shoot tient du manifeste et incarne une certaine vision de l'underground. En cinq morceaux seulement, cette rencontre plante ses clous rouillés dans la jugulaire de notre beau pays et s'y agrippe de toutes ses forces dans un mouvement qui montre tous les atours de l'étranglement. Grâce lui soit rendue. L'impression tenace d'entendre quelque chose qui relève à la fois de l'insurrection et de la résignation. Qui plus est, les cercles concentriques imitant un clapotis abstrait sur fond de superpositions languides de l'artwork (élaboré par EK Dojo) trompent sur la marchandise tout en la traduisant complètement. Non seulement, un bel EP mais encore bien plus, un bel objet.
Glacial et très attachant, Salle de shoot est une totale réussite.
leoluce - Descendre à la cave
Quelques semaines avant Rise, sortait Salle de Shoot, split EP partagé entre Jessica 93 et Mistress Bomb H (chez Kerviniou Recordz et Bruits de Fond). Au programme cinq titres dont on retiendra le terrible "Endless" du Parisien, entre le Cure de "The Kiss" et Big Black, même si "Black dog" qui n'est pas une reprise de Led Zeppelin reste de bon niveau. On s'emballera un peu moins pour l'electro-indus sévère et fracturée (à base de collectage de bruits ambiants, de piano désaccordé, de chant etc.) de la "Mistress" Hélène Le Corre, peut-être à cause de l'ambiance latex, fouet et sexe glauque qu'elle dégage. Mais dans le genre, on ne contestera pas l'efficacité.
Jérémy "Led Zep" Swan - New Noise
Comme chez Ideal Crash, Kerviniou Recordz aime les ziks "non obéissantes", underground et home made, et les splits basés sur ces principes. Aidé en cela, en l'occurrence, par Bruits de Fond. Avec Jessica 93 et Mistress Bomb H, respectivement shoegaze-cold "from Paris" et electro-noise "from Rennes", on est servi et cinq titres nous plongent dans un monde obscur, que le sieur Laporte inaugure avec pour ligne directrice le Pornography de The Cure et un morceau d'ouverture, Endless, qui y aurait parfaitement tenu sa place. Rythmé, griffé par ses guitares, qui ont ce pouvoir de constamment être attrayantes sans jamais trop en faire, voilà un essai obsédant, "sans genre" donc à l'image de ce musicien qui commence en toute logique à défrayer la chronique.
L'entrée en matière est bonne, au delà de ça même, et le parisien confirme avec le fracas de Black dog, toujours sur cette cadence mécanique et selon des plans de guitare vrillés, un climat cold et bruitiste qui d'emblée impose son cachet. Indus dans le "recrachage" des climats, froid comme il se doit, Jessica 93 prépare idéalement le terrain pour la rennaise et son electro dérangée, dérangeante, aussi, comme on aime. Noisy et truffé de sons inédits, Deflation illustre bien la démarche, portée, aussi, par une voix singulière. Une réelle cohérence est trouvée, dans le prolongement du premier artiste, et les saccades de Tax, son groove glacé, valideront le boulot de la Dame. Forte des mêmes ambiances, d'embardées insoumises, elle complète donc de belle manière les sentiers non battus de Jessica 93. Cap, tout aussi agité et chaotique, bâti dans une electro sombre et munie de sonorités simples et décisives, venant clôturer un split 12" de haute qualité, en phase directe avec l'Autre Musique, celle qui, loin de se plier aux règles, fait la nique avec brio et désinvolture aux fréquentes sorties aseptisées qu'on nous refile toute honte bue.
Will Dum - Muzzart
Avant la parution de Rise, Jessica93 a participé à un split album publié conjointement par Bruits De Fond et Kerviniou recordz. Le garçon y a placé deux excellents titres dont le premier est parfaitement dans la lignée, glacée et martiale, de ce qu’il a fait sur son dernier album, alors que le second titre, intitulé Black Dog, lorgne davantage vers ses débuts, plus minimalistes et avec une utilisation de la boite-à-rythmes moins métronomique. Black Dog est une composition vraiment magnifique, peut-être plus intimiste malgré la démonstration de puissance à nouveau développée ici par Jessica93. Qui dit split album dit deuxième face et deuxième groupe : Mistress Bomb H est en fait un autre projet solo reposant pleinement sur les talents de compositrice et le chant de son unique membre (qui se fait aider pour les concerts par monsieur Jean Ferraille aka Aphasia). Glacée et crispée, voire anxiogène et obsessionnelle, l’electro de Mistress Bomb H est un bel exemple de musique intelligemment sombre et sans le côté m’as-tu-vu trop fréquent chez les darkeux amateurs de bontempi. L’idée de lui faire partager un même disque avec Jessica93 était donc la bonne : les deux musiciens aiment tous les deux explorer les recoins sombres, déversant un flot de mélancolie parfois dévorante (un peu lyrique pour le premier, ascétique pour la seconde) et semblant alors parfaitement capables de se retrouver dans le noir.
Hazam - Le Zèbre