La Manufacture des Bruits de Fond présente « Pas d'erreur » - Bruits de Fond 21 (2014)
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La Manufacture des Bruits de Fond fait de nouveau tourner la presse à vinyle. Si la flamme des débuts brûle encore, c'est dans un contexte de résistance, péniblement masqué par les opportunistes célébrations du Record Store Day, que ce disque voit le jour. Sans distributeur attitré, dans un marché étriqué pour ne pas dire recroquevillé sur les rééditions et les valeurs sûres, nous allons encore devoir nous battre pour exister et diffuser ces 300 copies alors que même nos vieux soutiens ont déserté le chemin des disquaires. Enragée plus que résignée, notre Manufacture publie donc en quelque sorte son manifeste.
« Pas d'erreur », disions-nous. Trente centimètres pour six pièces supersoniques telles que nous les aimons et les défendons depuis nos débuts. Les protagonistes ? Des amis comme toujours ! Dans l'ordre alphabétique : c_c, que les esthètes du groove suivent avec attention depuis ses premières séquences frottées au papier de verre publiées chez Bedroom Research puis chez Small But Hard ; Electric Kettle, meilleur live breakcore - meilleur live tout court ? - d'ici à Pluton ; Jean Ferraille, épaulé de Djamal au mic pour une décharge de poésie speedcore d'un genre inouï ; Lost Forgotten accompagné de ses étonnantes machines à moudre le son ; Muckrackers et leur rage capable de raviver n'importe quel haut fourneau lorrain ; Ripit, enfin, dont la techno fiévreuse, titubante, rampante même, devrait faire perdre la tête et les pas de plus d'un danseur.
« Pas d'erreur » bénéficie d'un mastering grand angle réalisé au studio Angström de Bruxelles et d'une gravure experte signée dK Mastering à Paris. Pas moins soignée, la pochette aux formes lascives, à l'étreinte assumée et à la violence couvée est l’œuvre de la nantaise Mélanie Bourgoin à qui l'on doit déjà l'artwork du Bruits de Fond 17 et du Résistance des Matériaux 02.
[Cette plaque tourne en mémoire de Boris "Saoulaterre" Domalain et de Yann "Dub" De Kéroullas]
Tracklisting :
A1 - c_c - NuWHWuN
A2 - Ripit - Organepic
A3 - Muckrackers - Kontroll verlust
B2 - Jean Ferraille - Pas d'erreur (feat. Djamal)
B3 - Lost Forgotten - Crawling beast
Mastering : Angström Studio (Bruxelles)
Gravure : dk Mastering (Paris)
Pressage : Record Industry (Haarlem)
Graphisme : Mélanie Bourgoin (Nantes)
Discographies :
Liens :
http://www.dojo.electrickettle.fr
https://jeanferraille.bandcamp.com
https://soundcloud.com/lostforgotten
Chroniques / reviews :
« Le visage humain est provisoirement, je dis provisoirement, tout ce qui reste de la revendication, de la revendication révolutionnaire d’un corps qui n’est pas et ne fut jamais conforme à ce visage » (Antonin Artaud, Œuvres, 2004, p 1533)
Thématique : l’erreur. Cellule d’action : l’erratique entreprise.
Bruits de fond s’est fait une spécialité d’expérimentations électroniques plutôt sombres. Cet ancrage originel développe une structure mouvante et protéiforme offrant au gré des possibilités, des envies, des rencontres un espace d’expression aux DJs (apparitions ponctuelles : Seal Phüric, Saoulaterre… ou récurrentes : Aphasia, Mistress Bomb H…), dans la continuité fondatrice du fanzine initiateur, L’ultime atome. L’esprit est donc libertaire et underground.
Des split aux maxis en passant par les mixes, il manquait au tableau le format compilation. Pourtant, le souhait était bien présent. L’impulsion s’est muée en réalité grâce à la réunion centrifugée de six artistes aux styles véritablement différents.
Le disque s’ouvre sur NuWHWuN de C_C qui réussit l’alliance du choix exigeant de matériaux sonores peu usités encore (le support cassette générant des sons retravaillés) et construction efficace en un morceau extrêmement texturé mais dancefloor.
Organepic de Ripit (Solar Skeletons) démarre sur un kick distordu et lent auquel répond une boucle pointilliste aiguë. Les effets se développent sur le même thème aliénant jusqu’à un cut sonore à 1’20. Le beat reprend mais l’aspect mélodique se fait plus mineur, irradie par une sorte de delay, se décline en contrepoint pour devenir totalement dysharmonique. Le morceau entre en arythmie. Les sonorités suffoquent pour s’éteindre progressivement.
Muckrackers impose l’inspiration métallurgique dans toutes ses déclinaisons. Issu de la scène en question, le groupe s’est définitivement orienté vers le power electronics dont la puissance relaye un propos social hautement revendicatif : la mise en friche de l’Est français au travers des fermetures des usines sidérurgiques de Lorraine, région dont ils sont originaires. Kontrol Verlust donne un aperçu d’un des rares exemples français d’engagement manifeste couplé à un indéniable savoir-faire musical.
Electric Kettle augmente encore les hostilités en une pièce breakcore des plus aiguisées.
La contribution la plus intrigante se révèle être celle de Jean Ferraille aka Aphasia. Le ton impérieux et monocorde du rappeur Djamal déroule progressivement des phrases nominatives introduites par la négative. Cette litanie anaphorique hypnotique provient d’Interjections, texte dicté par Antonin Artaud deux ans avant sa mort au secrétaire qui venait lui rendre visite à l’asile de Rodez.
Pas d’erreur est une déconstruction poétique et monstrueuse qui aboutit à l’affirmation suppliante du non-être vécu par l’auteur. Démarrant sur quelques accords extrême-orientaux, le morceau se mue en une terreur speedcore dont les sons saturés créent un magma se confondant avec la vindicte du scandeur. Bien que l’association de la brutalité vocale et musicale soit des plus efficaces, on regrette cependant que l’interprétation du texte soit parfois trop littéralement dépecée par l’environnement musical. Il est vrai que ce modus operandi est le propre de Jean Feraille puisqu’il avait déjà procédé de la sorte sur Contre d’Henri Michaux. Il est vrai que, paradoxalement, il force l’auditeur à s’abstraire de la répulsion primaire provoquée par la violence sonore afin d’en arracher la compréhension des mots proférés. Il est vrai dès lors que l’attraction s’impose et que l’on y revient invariablement.
Lost forgotten achève l’opus en une extrême-onction lynchienne. Nappes et craquements associés à quelques notes de piano s’entremêlent en une respiration lente et anxieuse.
Il fallait mourir dans l’angoisse de la désespérance angélisée : Crawling Beast pose ce constat comme une fin ultime du non-recevoir.
« La liberté… cette superaliénation qui ne laisse pas le choix.
Mélanie Meyer - SWQW
Very nice (and well designed) six track compilation from Bruits de Fond, paying homage to two recently deceased figures of the French noise / breakcore underground. Electric Kettle, Aphasia (under his Jean Ferraille moniker), Ripit, Muckrackers, c_c and Lost Forgotten all deliver surprisingly chilled and laid back material. A lot of scraping tones and noisy frequencies are used, but "Pas D'Erreur" proves to be a comparatively calm affair by Bruits de Fond standards. Still, this is an intense, smart and deep piece of wax. Recommended.
Nicolas Chevreux - Ad Noiseam
A six-tracker with technoid breaks from C_C, freestyle hardcore with that hardware feeling from Ripit, and a slow industrial breaks and noisy ambience from Muckrackers on side A. On the other side is Electric Kettle with a fast, quite straight, moving sound that reminds me of his live sets. Next is Jean Ferraille with the title giving pas d’erreur. I don’t know what the French vocals on top are saying, but the music is a hardcore/noise mixture reminding me of Low Entropy’s old stuff somehow. Lost Forgotten closes the record with a sluggish melancholic downtempo tune with noises on top. A very nice roundup in a printed artwork sleeve limited to 300 copies. It is dedicated to Boris Saoulaterre and to yet another loss to the music scene, Yann ‘Dub’ De Kéroullas, owner of Reverse Prime Cut and Reverse Records who also passed away much too young in the summer of 2013.
ZFE - Datacide